C’est lorsqu’il y a collaboration entre dirigeants et cliniciens que les meilleures décisions sont prises

Par Frédérique David, journaliste

Le Groupe Espace Santé, qui a vu le jour en 2003 dans la foulée la Commission Clair, multiplie depuis plusieurs années les discussions et les réflexions sur l’organisation des services de santé. Les conférences et les publications de cet organisme à but non lucratif suscitent un intérêt grandissant dans le milieu de la santé.

À l’heure où tous s’entendent pour dire que le vieillissement de la population nécessitera des changements rapides dans l’organisation des services, le Groupe Espace Santé, dont le conseil d’administration est constitué notamment de médecins, d’infirmières et de gestionnaires, a déjà exprimé ses vues sur les coopératives de santé ou la place du privé dans le système de santé. Il lance maintenant ses propres pistes de solutions à propos des défis de productivité du réseau.

Le dentiste Benoit Gareau, le président de l’organisme, constate que l’amélioration de la productivité est un sujet qui préoccupe à peu près tout le monde dans le domaine de la santé.

«Avec le vieillissement de la population, il faut que des changements se fassent de façon graduelle. Nous devons réfléchir collectivement pour voir comment rendre le réseau plus efficace. Nous avons beaucoup de médecins, mais nous ne parvenons pas à offrir suffisamment de soins primaires aux patients. Il faut donc se demander si l’organisation que nous avons mise en place est efficace et si certaines mesures n’empêchent pas nos médecins de voir suffisamment de patients.»

Benoit Gareau déplore que l’on n’entende plus parler de certaines initiatives de gestion intéressantes développées dans le cadre de projets pilotes. Dans un texte publié en janvier dans La Presse, il saluait le travail sur l’amélioration du fonctionnement des blocs opératoires effectué par le comité «terrain» mis en place en 2008 et encourageait les décideurs à développer ce modèle.

Entretenir le privé coûte cher au public

«C’est peut-être un défi pour les gestionnaires, mais le travail du comité sur l’amélioration du fonctionnement des blocs opératoires a montré que le réseau public peut devenir plus productif, mentionne-t-il.

Le réseau privé est peu concurrentiel sur le plan des coûts, affirme Benoit Gareau. Le Devoir comparait récemment les services offerts en chirurgie oculaire à l’hôpital de Saint-Jérôme à ceux d’une clinique privée. Les hôpitaux qui dirigent des patients vers des cliniques privées doivent verser 1000$ par chirurgie de la cataracte. Or, on sait que la même chirurgie effectuée à l’hôpital coûte environ 450$. Les hôpitaux devraient donc tenter d’améliorer la productivité pour réallouer ces sommes d’argent dans d’autres secteurs.»

Selon Benoit Gareau, ce travail sur l’amélioration de la productivité réalisé dans les blocs opératoires pourrait être instauré dans d’autres secteurs de l’hôpital.

«Il pourrait y avoir des initiatives de gestion, de finances et peut-être même au ministère de la Santé, ajoute-t-il. L’objectif n’est pas nécessairement de faire plus de la même façon. Il s’agit parfois de faire différemment et avec plus de cohérence.»

Avec le vieillissement de la population, les établissements vont affronter des problèmes de recrutement et de rétention de personnel, rappelle-il. Le président du Groupe Espace Santé insiste, dans ce contexte, de développer une organisation où les gens se sentiront bien grâce à un climat de travail sain et où la surcharge de travail n’est pas habituelle.

«Quand on parle de productivité, on ne recommande pas de «presser le citron», mais de trouver de nouvelles façons de travailler pour être plus productif, pour que les gens soient plus heureux dans leur milieu de travail et qu’ils y restent.»

Souvent citée en exemple, la méthode Lean semble vouloir atteindre les mêmes objectifs. «J’aime mieux parler d’amélioration continue de la qualité», précise Benoit Gareau.

«Nous sommes dans un monde en perpétuel changement et certaines problématiques continueront d’évoluer avec le temps, poursuit-il. La responsabilité des dirigeants est donc de construire la capacité d’innover dans les organisations. Ils doivent être à l’écoute des problèmes vécus sur le terrain pour être en mesure de développer de meilleures pratiques.»

Ouverture et flexibilité

Les gestionnaires en santé le savent, le modèle unique n’existe pas. «Il faut tenir compte des réalités différentes dans chaque milieu, croit Benoit Gareau. Il faut s’adapter au milieu.»

Il est donc essentiel, selon Benoît Gareau, de faire preuve d’ouverture d’esprit et de flexibilité, mais également d’impliquer les prestataires de soins et les travailleurs de la santé.

«Les solutions imposées par les politiciens et les fonctionnaires ont parfois des effets limités, constate-t-il. Les professionnels de la santé ne se sentent pas inclus dans les décisions et résistent aux changements. Il est important d’être à l’écoute de ceux qui sont sur le terrain. C’est lorsqu’il y a une collaboration entre les dirigeants et les cliniciens que les meilleures décisions sont prises.»

(Article paru le 1er mars 2010 dans Profession Santé)